UNE FOLIE DE MOMES…

Voici une aventure qui a longtemps été colportée dans mon ancien quartier :

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C’est au tout début du printemps. 1943 ou 1944 ? On ne se souvient pas précisément. Ils ont quoi… ? huit ou neuf ans sans doute.

En tout cas, cela se passe dans la modeste rue transversale où habitent tous les copains de la petite bande. Il y a là Jean, l’imaginatif qui invente de nouveaux jeux, et puis les deux frères, Michou l’aîné d’un an et Bernard le rigolard; et aussi Jacques, le seul a habiter un pavillon. Pareil aux autres, happé par « le sirop de la rue » tempête la mère de Jacques.

Comme d’ordinaire, ils traînassent à la recherche d’une occupation autre que le jeu de ballon qui leur a valu quelques déboires avec les voisins soucieux de l’intégrité de leurs vitres ou de l’agencement de leurs planches de semis…

Les bruits de la guerre n’ont pas encore, physiquement, atteint le quartier. Cependant, voici une pétarade de motocyclettes, de deux motocyclettes, qui s’apprêtent à croiser l’extrémité de la petite rue. Des estafettes vert-de-gris ! Les garçons les suivent des yeux… et soudain, sans se concerter, tous en choeur hurlent : « A bas les Boches ! ». Sidérés de leur audace, ils restent plantés là tandis que les deux motards freinent à tout-va, s’apprêtant à faire demi-tour !

Aussitôt, panique ! une envolée de gamins fuit dans la petite rue pour atteindre le havre le plus proche qui s’ouvre au-delà de la grille du pavillon de Jacques. Au son des bruits de moteurs qui s’approchent, vite, ils se ruent derrière la bâtisse cubique, côté jardin, et s’affalent sur le tas de sable, le coeur battant. Ils imaginent les deux motards allemands, l’oeil aux aguets, la bouche amère, glissant dans un ralenti menaçant…

« Si on pouvait remonter le temps, pense très fort Jacques, effacer ces invectives, nos invectives, revenir en arrière… »

Les moteurs se sont assoupis. « Qu’est-ce qu’ils fichent ? » On les dirait à la hauteur du café, juste en face de l’entrée de l’immeuble où demeurent Michou et Bernard… Frissons partagés. Les bouilles sont livides. « Pourvu que Maman ne sorte pas de la maison » supplie mentalement Michou. Le silence pèse. Brusquement, des éclats de voix dont on ne comprend pas les paroles. Le ton est menaçant. Les quatre copains échangent des regards terrorisés. Ce cauchemar va-t-il se terminer ?

« Envants ? Où zont les envants ? » Un coup de kick rageur, un autre; nouvelle pétarade des moteurs, les motocyclettes remontent la rue, lentement. « Ils vont s’arrêter… ? » Soudain, une accélération les extirpe de la petite rue, enfin leur bruit décroît…

C’est alors que retentit la voix de la Maman des deux frères : « Où ils sont ces cochons de gosses… ? J’ai failli tourner de l’oeil ! » Bernard redresse la tête : « Pauvre mère… » Puis il se pince le nez : « Voici un message personnel = Stop aux cris des cochons. Deux fois. »

Très vite les rires s’étranglent. Il leur faudra de nombreux jours pour ne plus être en proie à ce sentiment d’angoisse… perturbant leurs jeux de guerre habituels.