LE FEUILLETON : ROMAN DE L’AMNESIQUE XIème parution

SUITE DE LA Xème PARUTION =

Ravachol veut me faire connaître ce qu’on appelle le Vieux-Pays, le centre de l’ancienne Goussainville, déserté aujourd’hui pour une ville nouvelle à quelques kilomètres de là.

Il fait une de ces journées d’avril qui nous ferait croire être en juin. Contraste saisissant en regard de cette rue du quartier qui évoque une carte postale 1900 ! Un noir et blanc délavé. Sous le ciel encore chargé, une vision de fin de guerre.

  • C’est encore pire sous le soleil, rigole Rava.

J’ai comme un frisson.

  • Juste une chose : la mairie fait la chasse aux squats, si donc on rencontre les flics municipaux, on va chez le curé ! c’est imparable, d’accord ? L’église romane classée est là, derrière ; cinq cents mètres autour d’elle, toutes les maisons sont intouchables, pas un brin transformables. Si nous restons discrets, nous sommes parés pour un moment ! Vive les architectes des Bâtiments de France !
  • Pour une fois, les architectes s’en tirent bien !
  • Sais-tu comment se nomme cette rue ? la rue Brûlée, ça ne s’invente pas.

L'errance de l'amnésique

Des volets rouillés, des rideaux en capilotade baissés sur d’anciennes boutiques : cette épicerie accolée à ce bar, plus loin le mur ébréché d’un jardin d’où s’échappe une végétation folle, partout des fenêtres murées, on croirait le village endormi depuis un siècle. Sur une maison abandonnée, on peut encore lire « Au paradis », impression amère. C’est pourtant là mon havre de paix !

  • Dans ses cartons, la mairie a toujours des projets, par exemple de faire du Vieux-Pays un village de sourds-muets.
  • Ah, bien vu !

A cet instant, comme pour approuver, le tonnerre du décollage d’un avion nous assourdit.

  • Nous sommes juste dans l’axe de l’envol des bébêtes ; ils ne nous ont pas loupés, ricane Ravachol.

A présent, nous marchons dans un quartier moins traumatisé, zone pavillonnaire classique de banlieue si ce n’était, çà et là, ces maisons aux volets clos depuis beau temps.

  • Tu m’emmènes où  ?
  • A la bibliothèque.

Ah… il y a encore une bibliothèque.

  • Il nous reste une petite bibliothèque qui possède la wi-fi.

La oui-fi ? Quezaco ? Diable, me voici dépassé : laissons venir.

  • Avec le portable, cela nous permet d’accéder à des tas d’informations.

Je n’y comprends rien, nada, que goutte ! Je risque :

  • Comme quoi ?
  • Ben, en ce moment, on cherche à savoir comment on équipe une serre solaire. Au pavillon, on a une véranda d’époque. On doit pouvoir s’en servir : ça nous ferait une serre adossée – adossée à la maison. On y doperait la pousse des légumes et cela pourrait, en plus, chauffer le bercail…
  • Vous êtes vraiment des mecs à la colle forte !
  • Restons calmes, c’est un espoir ; il nous faut vérifier, expérimenter…

Incroyable ! Et ces types-là n’ont pas de boulot… ?

Elle est là, toute discrète, toute surannée, la bibliothèque. Ravachol entre du pas de l’habitué des lieux. Je le suis, intrigué. Quelques usagers paraissent se dissimuler – mal – derrière le couvercle ouvert d’une boîte qu’ils ont devant eux et dans laquelle ils fouillent du regard avec inquiétude. N’ai jamais encore vu pareille chose ! Par contre, d’autres les portent à la main, les tiennent ouverts pour les parcourir ou les effleurent d’un doigt inquisiteur : là, je connais, ce sont des livres qui me ramènent au souvenir des livres de mon enfance.

Rava a choisi une place et je m’installe sur la chaise voisine. Je l’observe tripoter son engin qui, de profil et d’un peu loin, a tout de l’étui à cigares en plus plat, oui, en beaucoup plus plat. De son index, il semble faire virevolter des images, des listes, des couleurs sur son mini écran… Je me sens hébété. Dans quel gouffre d’ignorance je suis tombé ? Je n’ai pourtant pas dormi des années pendant que le monde évoluait ? Je n’en sais rien, en fait. C’est vertigineux…

Voilà que Ravachol, l’œil brillant, s’adresse à moi :

  • J’ai dégoté un bouquin pratique sur la fabrication des serres, assez récent. Je le télécharge en PDF, de sorte qu’on va pouvoir l’étudier de près, bien au calme à la baraque.

Je ne lève même pas le pouce, j’aurais l’impression de fuir en auto-stop. L’allusion me désarçonne… J’ai dû voir faire ça … dans un temps lointain. Et Rava, qu’est-ce qu’il me raconte ? Il a vu un livre dans sa boîte à malice, alors qu’il y a étalage de bouquins tout autour de nous… qu’il n’a même pas regardés ! Le voilà qui pianote à nouveau un p’tit coup. Je me sens inutile devant cet homme à l’allure improbable avec ses frusques élimées mais qui paraît de plain-pied avec la modernité. Je ne vais pas pouvoir vivre longtemps ainsi. Que faire, l’aveu m’est impossible.

Chapitre 6

Il fait grand jour dans le bercail car deux fenêtres donnant sur le jardin en friche sont délivrées de leurs lourdes couvertures faisant office de rideaux. Il y a de la nervosité dans notre groupe massé autour de la petite merveille manipulée par Rava avec dextérité.

– Qui veut lire à haute voix à son tour, fait ce dernier, que je souffle un peu ?

– Moi, j’veux bien, répond Tobacco.

Et l’opération reprend. Sérieux comme un évêque nouvellement nommé, Guère Mieux prend des notes : des bidons de 200 litres à remplir d’eau, de la peinture noire pour les peindre, des semis dont on fait une culture forcée sous châssis ou dans le chaud de la serre…

– Oui, j’ai vu ça, intervient Rava, c’est kif-kif une voiture garée en plein soleil… Dont on améliore le rendement en peignant en noir bidons, sol, mur du fond.

Le lecteur aborde à présent le chapitre du compost. La décomposition est une combustion qui délivre de la chaleur. A utiliser sous la serre, notamment en hiver. Il est composé d’une couche de déchets organiques, d’une couche de terre puis d’une couche de fumier et ainsi de suite.

– On a déjà des déchets dans le jardin ! constate le petit bossu, reste à trouver du fumier.

– Faudra activer la brouette de nuit… conclut Tobacco.

– La brouette de jour, m’explique Rava, c’est celle du jardin. Quant à celle de nuit, c’est une grande remorque et son vélo pour les transports en tous genres. Notamment la chasse aux légumes dans les poubelles des grandes surfaces. C’est chacun son tour de remorquer les deux autres comme un bon petit asiatique. On trie à trois puis le cycleux ramène le butin et les deux autres rentrent à pied. Promenade de nuit assez vivifiante l’hiver ! La serre nous soulagerait, c’est sûr.

– Taisez-vous ! Chut ! Ecoutez…. lance à mi-voix Guère Mieux.

A l’extérieur, des voix se répondent. Ils sont sur le côté du pavillon ! Tobacco et Rava se ruent sur les couvertures tombées au sol et, grimpés sur les escabeaux de service, accrochent les rideaux de fortune aux vieilles tringles. Ils restent ainsi, les bras levés, immobiles. L’obscurité s’est faite, tout le monde retient son souffle.

« Le maire, il attige, tout de même : se farcir tous les arrières de pavillons ! » « T’appelles ça des pavillons ? » « Des ruines, quoi ! » « Vois-moi cette friche, c’est partout pareil… » « Forcé, c’est à l’abandon. » « T’occupes, ça nous fait un salaire. » Les voix s’éloignent, sûrement vers la rue.

Descendant sans bruit de leur perchoir, les deux préposés aux rideaux tendent l’oreille.

– Si les municipaux…

– Chut ! Guère Mieux.

– Non, ça va, le danger est écarté, estime Rava. Sauf pour le jardin…

– Avec la hauteur de friche laissée tout autour, remarque Guère Mieux, à moins d’avoir une échelle…

Je suis resté inutile tout le temps de l’alerte. Pétrifié, à ne savoir que faire. Quelle recrue talentueuse !

– C’est égal ! faire la chasse aux squatteurs quand il y a tant de gens à la rue et que ces maisons restent vides… peste Rava.

– Surtout que, si ça continue avec la serre, l’hiver prochain on va crever de chaud dans les baraques vides… ironise Tobacco. Et même qu’ils disent qu’avec un bidon au sommet de la serre, derrière la vitre, on obtiendra un chauffe-eau solaire !

– Cela ne change rien au problème, bougonne la chevelure de neige.

Je ne comprends pas : ce progrès que constituent ces appareils ultra-moderne que je ne soupçonnais pas, qui simplifient grandement les recherches, donc la connaissance, Et par ailleurs, des gens dans l’extrême misère comme mes compagnons ; des gens à la rue et des logements vides… Que s’est-il passé dans ce pays ?

A  SUIVRE…

2 réflexions sur “LE FEUILLETON : ROMAN DE L’AMNESIQUE XIème parution

Laisser un commentaire