FEUILLETON TOUJOURS : Xème parution du ROMAN DE L’AMNESIQUE

SUITE  DU  FEUILLETON =

Tout en mastiquant, je les observe à la dérobée. Ils prennent garde de ne pas se coucher avec leurs vêtements de jour ; pour autant, leurs effets ne sont pas reluisants mais, parmi la chiennerie vestimentaire d’aujourd’hui, c’est tolérable. Vais-je devenir comme eux ? Pour l’heure, ils me sauvent ; qui viendra me chercher dans ce bourg fantôme… ? De toutes façons, je reste aux abois ! Eux n’ont pas l’air de se biler ; pourtant, selon toute apparence, aucun boulot ne les attend. Comment se nourrissent-ils ? Et quelle sera leur réaction quand ils vont s’apercevoir que j’ai perdu la mémoire… ? Et puis, ils connaissent mon magot !

L'errance de l'amnésique

  • Il a de l’appétit, le Pascal !

La critique de Guère Mieux m’extirpe de mes soucis.

  • Tu ne vas pas lui reprocher sa nourriture : il est notre hôte, réagit Ravachol.
  • Faut pas que ça s’ébruite, c’est tout.

Il ne désarme pas le petit bossu.

  • Tu sais qu’on mange là des œufs maison, déclare Tobacco pour changer de sujet. On a deux poules dans le pavillon que tu voulais cambrioler ; il m’adresse un sourire amical qui dévoile une bouche édentée et reprend : enfermées dans une pièce, on les lâche dans le jardin où elles se nourrissent, entre autres, de vers de terre.
  • Et un peu de grains… qu’on chaparde, précise Rava avec un geste d’excuse.
  • Vous ne lui dites pas tout à votre invité.

Penchant la tête, Guère Mieux regarde tour à tour ses deux acolytes :

  • Notamment ce qu’on risque avec des décollages multiples. C’est comme ça qu’a commencé l’exode des habitants du vieux Goussainville. Toi , Pascal, tu dors sur tes deux oreilles mais, ici même, en 1973, un Tupolev s’est écrasé dans le centre de Goussainville : huit habitants tués, quinze maisons détruites !
  • Arrête, intervient Rava, c’est un Tupolev qu’avaient bricolé les Russkoffs pour augmenter ses performances afin de rivaliser avec le Concorde.
  • Parce que tu crois qu’on est jamais survolé par des avions russes ?

A ce moment, un avion frôle la maison dans un bruit épouvantable.

  • Celui-là a réussi à s’en sortir, raille Tobacco.
  • Bon, allez, au turbin !lance Guère Mieux.

Je ne comprends plus et jette un regard interrogateur à Ravachol :

  • Ils ont un travail ?
  • Que non. Ils vont aérer les poules dans le jardin de la maison que tu connais.
  • Et puis, on s’occupe du jardin potager, des semis, des châssis, précise Tobacco avec fierté.
  • Un vrai taf, mon pote ! renchérit le petit bossu.
  • C’est un jardin dissimulé derrière les hautes broussailles d’une nature proliférante. Faut s’organiser, tu saisis ? m’explique Rava.

Emballé, je m’exclame :

  • Vous pourriez faire les maraîchers…
  • Il est de bon conseil… raille Guère Mieux.
  • On sait ce que valent les conseilleurs ! approuve Tobacco.
  • T’as une idée de ce que représente une patente ? articule avec irritation le bossu.

Ravachol intervient encore afin de calmer les esprits :

  • Ils vont te sortir un formulaire te demandant le prénom de ton grand père, et puis si tu as fait de la taule, où t’habites…

Je me fais évasif :

  • Ah… oui…
  • Tu savais pas ? fait Tobacco, soupçonneux.
  • Et toi, tu gagnes ta vie comment ? attaque Guère Mieux.
  • Ben, tempère Ravachol, c’est connu : au Beretta !

Il essaie une nouvelle fois de me sauver la mise. Je prends un air navré :

  • Je sais bien que les apparences sont contre moi
  • Penses tu !
  • Explique toi…poursuit Tobacco d’un ton adouci.

Je suis coincé, comment faire comprendre ce que je suis dans l’impossibilité de découvrir mon passé ! Je dois avoir l’air lamentable :

  • Je ne peux pas…
  • Trop facile ! réagit le bossu.
  • Vous avez fini, tranche Ravachol, de faire les flics, les copains ?

Les jardiniers partis, ce dernier me dit en guise d’invite :

  • Tu ne te rases pas ?
  • Je fais comme tes copains.
  • Moi, non !

Il pend à un clou une assez grande glace puis fait chauffer de l’eau. Je songe tout de suite à mon foulard : l’enlever, c’est révéler ma balafre ! Pendant que Ravachol se fait un visage lisse, j’hésite ; tôt ou tard, il faudra bien que je fasse toilette et, ce matin, sans la présence des deux autres, se pourrait être l’occasion… Je vais me raser !

  • Après moi, si tu veux…

Rava sort de la pièce pour jeter l’eau savonneuse de la petite cuvette et réapparaît avec de l’eau propre.

  • Nous nous sommes bricolé une petite citerne, m’explique-t-il, hier, elle s’est régalée !

Je hoche la tête, songeant à l’aveu imminent. Ca y est, l’eau est chaude. Je prends mon rasoir, ma crème et je fais glisser mon foulard… je pense idiotement « comme on dévoile une plaque commémorative… ». Ravachol n’a encore rien vu. Je me savonne, toujours rien. Je commence à attaquer la joue gauche…

  • Mazette ! l’estafilade… Puis, se reprenant : excuse-moi, je n’ai pas à le savoir.
  • Je me suis griffé en dormant…
  • C’est le risque des nuits agitées, plaisante mon hôte.

J’ai la main qui tremble dangereusement pour continuer à me faire la barbe. Enfin, la cuvette rincée, la balafre masquée par le foulard entortillé deux fois autour du coup à la façon des blédards, me voilà opérationnel.

Mais l’homme aux cheveux de neige estime que mon magot pose un problème. Je le pense aussi ! Il me pousse à trouver une cachette afin de le soustraire à toute convoitise. Une cachette que je serais seul à connaître. Pour coffre, il me propose une boîte à gâteaux en fer, plate, de couleur terne.

  • Je te laisse fouiner dans la maison. Je serai sous la véranda.

J’ai trouvé presque tout de suite : c’est du fixé, c’est du lourd, c’est un radiateur de chauffage central dans un angle sombre de l’une des anciennes chambres ; la boîte se glisse entre le mur et lui d’une façon idéale. Et je rejoins Rava.

– Je préfère ne pas exciter la cupidité. Pas de bisbille entre nous, mieux vaut ne pas s’entre-dévorer ! L’argent…

– J’essaierai d’aider, lui dis-je, laconique.

A  SUIVRE…

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