Tout en mastiquant, je les observe à la dérobée. Ils prennent garde de ne pas se coucher avec leurs vêtements de jour ; pour autant, leurs effets ne sont pas reluisants mais, parmi la chiennerie vestimentaire d’aujourd’hui, c’est tolérable. Vais-je devenir comme eux ? Pour l’heure, ils me sauvent ; qui viendra me chercher dans ce bourg fantôme… ? De toutes façons, je reste aux abois ! Eux n’ont pas l’air de se biler ; pourtant, selon toute apparence, aucun boulot ne les attend. Comment se nourrissent-ils ? Et quelle sera leur réaction quand ils vont s’apercevoir que j’ai perdu la mémoire… ? Et puis, ils connaissent mon magot !
- Il a de l’appétit, le Pascal !
La critique de Guère Mieux m’extirpe de mes soucis.
- Tu ne vas pas lui reprocher sa nourriture : il est notre hôte, réagit Ravachol.
- Faut pas que ça s’ébruite, c’est tout.
Il ne désarme pas le petit bossu.
- Tu sais qu’on mange là des œufs maison, déclare Tobacco pour changer de sujet. On a deux poules dans le pavillon que tu voulais cambrioler ; il m’adresse un sourire amical qui dévoile une bouche édentée et reprend : enfermées dans une pièce, on les lâche dans le jardin où elles se nourrissent, entre autres, de vers de terre.
- Et un peu de grains… qu’on chaparde, précise Rava avec un geste d’excuse.
- Vous ne lui dites pas tout à votre invité.
Penchant la tête, Guère Mieux regarde tour à tour ses deux acolytes :
- Notamment ce qu’on risque avec des décollages multiples. C’est comme ça qu’a commencé l’exode des habitants du vieux Goussainville. Toi , Pascal, tu dors sur tes deux oreilles mais, ici même, en 1973, un Tupolev s’est écrasé dans le centre de Goussainville : huit habitants tués, quinze maisons détruites !
- Arrête, intervient Rava, c’est un Tupolev qu’avaient bricolé les Russkoffs pour augmenter ses performances afin de rivaliser avec le Concorde.
- Parce que tu crois qu’on est jamais survolé par des avions russes ?
A ce moment, un avion frôle la maison dans un bruit épouvantable.
- Celui-là a réussi à s’en sortir, raille Tobacco.
- Bon, allez, au turbin !lance Guère Mieux.
Je ne comprends plus et jette un regard interrogateur à Ravachol :
- Ils ont un travail ?
- Que non. Ils vont aérer les poules dans le jardin de la maison que tu connais.
- Et puis, on s’occupe du jardin potager, des semis, des châssis, précise Tobacco avec fierté.
- Un vrai taf, mon pote ! renchérit le petit bossu.
- C’est un jardin dissimulé derrière les hautes broussailles d’une nature proliférante. Faut s’organiser, tu saisis ? m’explique Rava.
Emballé, je m’exclame :
- Vous pourriez faire les maraîchers…
- Il est de bon conseil… raille Guère Mieux.
- On sait ce que valent les conseilleurs ! approuve Tobacco.
- T’as une idée de ce que représente une patente ? articule avec irritation le bossu.
Ravachol intervient encore afin de calmer les esprits :
- Ils vont te sortir un formulaire te demandant le prénom de ton grand père, et puis si tu as fait de la taule, où t’habites…
Je me fais évasif :
- Ah… oui…
- Tu savais pas ? fait Tobacco, soupçonneux.
- Et toi, tu gagnes ta vie comment ? attaque Guère Mieux.
- Ben, tempère Ravachol, c’est connu : au Beretta !
Il essaie une nouvelle fois de me sauver la mise. Je prends un air navré :
- Je sais bien que les apparences sont contre moi
- Penses tu !
- Explique toi…poursuit Tobacco d’un ton adouci.
Je suis coincé, comment faire comprendre ce que je suis dans l’impossibilité de découvrir mon passé ! Je dois avoir l’air lamentable :
- Je ne peux pas…
- Trop facile ! réagit le bossu.
- Vous avez fini, tranche Ravachol, de faire les flics, les copains ?
Les jardiniers partis, ce dernier me dit en guise d’invite :
- Tu ne te rases pas ?
- Je fais comme tes copains.
- Moi, non !
Il pend à un clou une assez grande glace puis fait chauffer de l’eau. Je songe tout de suite à mon foulard : l’enlever, c’est révéler ma balafre ! Pendant que Ravachol se fait un visage lisse, j’hésite ; tôt ou tard, il faudra bien que je fasse toilette et, ce matin, sans la présence des deux autres, se pourrait être l’occasion… Je vais me raser !
- Après moi, si tu veux…
Rava sort de la pièce pour jeter l’eau savonneuse de la petite cuvette et réapparaît avec de l’eau propre.
- Nous nous sommes bricolé une petite citerne, m’explique-t-il, hier, elle s’est régalée !
Je hoche la tête, songeant à l’aveu imminent. Ca y est, l’eau est chaude. Je prends mon rasoir, ma crème et je fais glisser mon foulard… je pense idiotement « comme on dévoile une plaque commémorative… ». Ravachol n’a encore rien vu. Je me savonne, toujours rien. Je commence à attaquer la joue gauche…
- Mazette ! l’estafilade… Puis, se reprenant : excuse-moi, je n’ai pas à le savoir.
- Je me suis griffé en dormant…
- C’est le risque des nuits agitées, plaisante mon hôte.
J’ai la main qui tremble dangereusement pour continuer à me faire la barbe. Enfin, la cuvette rincée, la balafre masquée par le foulard entortillé deux fois autour du coup à la façon des blédards, me voilà opérationnel.
Mais l’homme aux cheveux de neige estime que mon magot pose un problème. Je le pense aussi ! Il me pousse à trouver une cachette afin de le soustraire à toute convoitise. Une cachette que je serais seul à connaître. Pour coffre, il me propose une boîte à gâteaux en fer, plate, de couleur terne.
- Je te laisse fouiner dans la maison. Je serai sous la véranda.
J’ai trouvé presque tout de suite : c’est du fixé, c’est du lourd, c’est un radiateur de chauffage central dans un angle sombre de l’une des anciennes chambres ; la boîte se glisse entre le mur et lui d’une façon idéale. Et je rejoins Rava.
– Je préfère ne pas exciter la cupidité. Pas de bisbille entre nous, mieux vaut ne pas s’entre-dévorer ! L’argent…
– J’essaierai d’aider, lui dis-je, laconique.
La suite … Merci , une histoire ou la fin ne peut se deviner … a++
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